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LES JOURNÉES

Je ſoutiens donc, avec plus d’autoriré que jamais, que les Poëtes n’ont fait un Dieu de l’Amour, que pour nous donner, ſous ce titre ſacré, une idée de la pureré, le nom de Dieu contenant en lui, ceux de vertu, de ſageſſe, de prudence & d’équité. Je conviens auſſi, qu’il marque un pouvoir abſolu. Mais je ne puis convenir que la puiſſance de ce Dieu s’étende à rendre vicieux les hommes les plus vertueux, puiſque je fonde le mérite de l’Amour ſur le contraire de cette métamorphoſe, dans la penſée où je ſuis que cette paſſion, telle que je vais la dépeindre, eſt plus capable d’épurer les mœurs, que ſujette à les corrompre : c’eſt ce que je vous ferai voir dans la ſuite, en vous inſtruiſant de ce qui ſe dît chez vous en votre abſence, par ordre & ſans obſcurité.

Orophane ayant fait tomber la converſation ſur le deſordre des mœurs, & le peu de ſoin que les hommes prépoſez pour les épurer, ſembloient y apporter ; Damon, auſſi ſauvage de cœur que d’eſprit, en accuſa d’abord l’Amour, & ſoutint que lui ſeul cauſoit le deſordre du genre-humain… Cette paſſion, dit-il, contraire à la vertu, détruit la ſociété, corrompt le cœur, & gâte l’eſprit : lorſqu’on en eſt attaqué, on ne fait rien que par intrigue, on viole les loix humaines & divines ; & je compare un homme amoureux à la bête la plus ſtupide, & en même tems à la plus vorace.