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AMUSANTES

vertu, laquelle ſoutenue d’une grande beauté pourroit le conduire à l’amour, il refuſe de la voir, lui fait rendre les honneurs dûs à ſon rang & à ſon mérite, ſans oſer jamais s’expoſer à ſes regards, dans la crainte d’être vaincu par une paſſion qui pourroit ternir l’éclat de tant de belles actions.

Je ſuis perſuadée, continua Camille, que, ſi Pentée avoit eu le caractère des Taleſtris & des Cléopatres, Cyrus n’auroit pas redouté ſa vuë, ſa vertu le garantiſſant du pouvoir trompeur des beautez frivoles ; mais la ſageſſe de Pentée étant pour lui plus à craindre que ſes charmes, il devoit préſumer, comme il fit, qu’elle auroit été l’aimant qui eût attiré ſon ame ; étant preſque inévitable que le plus vertueux de tous les hommes, ne devint amoureux de la plus vertueuſe de toutes les femmes.

La remarque de Camille eſt très-juſte, dit Thélamon ; & je crois que, pour bien connoître les hommes, il en faut juger par les foibleſſes dans leſquelles ils évitent de tomber, plutôt que par leurs grandes actions. Les plus cruels tyrans ont eu quelques vertus ; mais lorſqu’on ſait tirer une haute ſageſſe de ce qui peut paroître vicieux, c’eſt alors qu’on aquiert à juſte titre la qualité de Grand.

Cyrus eût été moins condamnable d’aimer Pentée, que ne le fut Alexandre de s’être livré, dans le vin, à h violence de ſon tem-