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LES JOURNÉES

chez, elle ; c’eſt à-dire, ſans profuſion, mais d’un goût & d’une délicateſſe préférable à la magnificence.

Le diner fini, on réſolut de commencer ce qu’on avoit projetté en ſe retirant dans le Salon des Sciences : la compagnie s’y rendit avec empreſſement, & chacun ayant pris un livre ſelon ſon goût & la ſituation de ſon eſprit, le ſilence regna quelque tems dans cette aimable ſociété.

Mais Camille ſuivant le feu de ſon tempérament le rompit la première, en s’écriant. Voilà un trait qui me charme dans l’Hiſtoire de Cyrus, ſur laquelle je ſuis tombée. Je mets ce grand Prince au-deſſus d’Alexandre, qui malgré ſes grandes qualitez, a cédé toujours à ſes paſſions ſans ménagement pour ſa gloire, & pour l’immortalité à laquelle il aſpiroit : mais Xénophon me peint Cyrus tel que devroient être tous les grands Hommes. Ce Héros toujours guerrier, toujours vainqueur, n’a jamais ceſſé d’être ſage ; ſes Conquêtes n’ont point autoriſé ſes foibleſſes : maître abſolu d’un peuple innombrable, il ne s’eſt rien cru de plus permis qu’aux autres : ce Prince, dont la vertu égaloit la valeur, après avoir dompté les nations les plus belliqueuſes, en ayant aſſez fait pour aſſurer ſa gloire, & donner quelque choſe à ſon cœur, apprend que la plus belle Princeſſe de l’Univers, la vertueuſe Pentée eſt ſa priſonniére ; & ſentant que le penchant de ſon ame eſt d’adorer la