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homme prodigue, n'échappa point à la sensualité du siècle dont nous parlons; et, pour qu'il soit manifeste que, dès la seconde guerre Punique, ce poisson était en grande réputation, écoutez ce qu'en dit Plaute, dans le rôle d'un parasite de la pièce intitulée Baccharia.

Quis est mortalis tanta fortuna adfectus umquam

Qua ego nunc sum, cuius haec ventri portatur pompa?

  • Vel nunc, qui mihi in mari accipenser latuit antehac,
  • Cuius ego latus in latebras reddam meis dentibus et manibus.

« Quel mortel fut jamais plus favorisé de la fortune que je ne le suis maintenant, devant ce magnifique repas destiné pour mon estomac? Je vais m'y faire avec les dents et avec les mains pour engloutir dans mon ventre les flancs de cet esturgeon, qui jusqu'à présent vécut caché dans la mer. »

Si le témoignage d'un poète paraît de trop peu de poids, apprenez de Cicéron quel cas faisaient de ce poisson Scipion l'Africain et le Numantin. Voici les paroles de Cicéron dans son dialogue Du destin

Nam cum esset apud se ad Lavernium Scipio unaque Pontius, adlatus est forte Scipioni accipenser, qui admodum raro capitur, sed est piscis, ut ferunt, inprimis nobilis. Cum autem Scipio unum et alterum ex his qui eum salutatum venerant invitavisset, pluresque etiam invitaturus videretur, in aurem Pontius: Scipio, inquit, vide quid agas, accipenser iste paucorum hominum est.

« Scipion étant dans sa maison de Lavernium avec Poutius, on vint lui apporter un esturgeon, poisson qu'on prend rarement, mais, à ce qu'on dit, des plus précieux. Comme il eut invité successivement deux personnes qui étaient venues le saluer, et qu'il paraissait vouloir en inviter plusieurs autres, Pontius lui dit à l'oreille. Prends garde, Scipion, à ce que tu fais! cet esturgeon n'est fait que pour peu de monde. »

Qu'on ne m'oppose pas que ce poisson n'était point estimé du temps de Trajan, selon le témoignage de Pline le jeune, qui, dans son Histoire naturelle, s'exprime à son sujet ainsi qu'il suit

Nullo nunc in honore est, quod equidem miror, cum sit perrarus inventu.

«  II n'a maintenant aucune réputation; ce qui m'étonne, puisqu'il est rare de le trouver. »

Car ce dédain ne dura pas longtemps: en effet, sous le règne de Sévère, prince qui affectait une grande austérité de mœurs, Sammonieus Sérénus, un des hommes savants de son siècle, lui parlait de ce poisson dans une de ses lettres; et après avoir transcrit le passage de Pline que je viens de citer, il ajoutait

Plinius, ut scitis, ad usque Traiani imperatoris venit aetatem. Nec dubium est, quod ait nullo honore hunc piscem temporibus suis fuisse, verum ab eo dici. Apud antiquos autem in pretio fuisse ego testimoniis palam facio vel eo magis quod gratiam eius video ad epulas quasi postliminio redisse, quippe qui, dignatione vestra cum intersum convivio sacro, animadvertam hunc piscem a coronatis ministris cum tibicine introferri. Sed quod ait Plinius de accipenseris squamis, id verum esse maximus rerum naturalium indagator Nigidius Figulus ostendit, in cuius libro de animalibus quarto ita positum sit: Cur alii pisces squama secunda, accipenser adversa sit.

« Pline, comme vous savez, vécut jusque sous Trajan ; et il n'est pas douteux que ce qu'il dit du peu de cas qu'on faisait, de son temps, de ce poisson, ne soit vrai; mais je prouverai, par divers témoignages, qu'il fut très estimé des anciens : et le premier de ces témoignages c'est que, pour l'amour de ce poisson, on se a remettait à manger de plus belle. Lorsque, par suite de la faveur que vous daignez m'accorder, Assiste à votre festin sacré, je vois apporter ce poisson au son de la flûte par des serviteurs couronnés. Quant à ce que dit Pline des écailles de l'esturgeon, Nigidius Figulus, ce grand investigateur des ouvrages de la nature, en démontre la vérité, dans son quatrième livre Des animaux, où il pose ainsi la question: Pourquoi l'écaille, qui est posée d'une façon adhérente sur les autres poissons, est-elle posée à rebours sur l'esturgeon ?»

Telles sont les paroles de Sammonicus, qui, tout en le louant, dévoile la turpitude des repas de son prince, et nous apprend en même temps l'espèce dé vénération qu'on avait pour l'esturgeon, puisqu'il était porté au son de la flûte par des serviteurs couronnés, pompe plus convenable au culte d'une divinité qu'à une affaire de plaisir. Mais ne nous étonnons pas tant du prix qu'on mettait à un esturgeon, puisque le même Sammonicus rapporte qu'Asinius Céler, personnage consulaire, acheta un mulet sept mille nummi. On