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LETTRES FAMILIÈRES.

m’entretenir avec les bûcherons, qui ont toujours quelque maille à partir, soit entre eux, soit avec leurs voisins. J’aurais à vous dire sur ce bois mille belles choses qui me sont arrivées, soit avec Frosino de Panzano, soit avec d’autres qui en voulaient. Frosino, particulièrement, avait envoyé chercher une certaine quantité de cataste[1] sans m’en rien dire, et, lorsqu’il s’agit de payer, il voulut me retenir dix livres qu’il prétendait m’avoir gagnées, il y a quatre ans, en jouant à cricca, chez Antonio Guicciardini. Je commençai d’abord par faire le diable ; je voulais m’en prendre au voiturier qui était allé le chercher, comme à un voleur ; mais Giov. Machiavelli s’interposa dans cette affaire, et nous remit d’accord. Battista Guicciardini, Filippo Ginori, Tommaso del Bene, et quelques autres personnes m’en prirent chacun une catasta, lorsque nous avons eu ces grands vents du nord. Je promis à tous, et j’en envoyai une à Tommaso, qui en transporta la moitié à Florence, parce qu’il s’y trouvait avec sa femme, sa servante et ses enfants pour la recevoir ; on aurait dit le Gaburro lorsque avec ses garçons il vient le jeudi pour assommer un bœuf. M’étant alors aperçu qu’il n’y avait rien à gagner, j’ai annoncé aux autres qu’il ne me restait plus de bois : ils en ont tous fait la moue, surtout Battista, qui met ce refus au nombre de ses plus grandes mésaventures d’État.

Lorsque je quitte le bois, je me rends auprès d’une fontaine, et de là à mes gluaux, portant avec moi, soit le Dante, soit Pétrarque, soit un de ces poètes appelés minores, tels que Tibulle, Ovide, et autres. Je lis leurs plaintes passionnées et leurs transports amoureux ; je me rappelle les miens, et je jouis un moment de ce doux souvenir. Je vais ensuite à l’hôtellerie qui est située sur le grand chemin, je cause avec les passants, je leur demande des nouvelles de leur pays, j’apprends un grand nombre de choses, et j’observe la diversité qui existe entre les goûts et les imaginations de la plupart des

  1. Sorte de mesure usitée à Florence