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LETTRE II.

À UNE DAME.

 Très illustre dame,

Puisque Votre Seigneurie désire connaître les changements qui ont eu lieu ces jours derniers dans notre Toscane, je me ferai un plaisir d’autant plus grand de vous en rendre compte, qu’en satisfaisant à vos désirs je vous montrerai le triomphe de vos amis et celui de mes protecteurs ; deux circonstances qui suffisent pour effacer tous les motifs de tristesse, quelque nombreux qu’ils soient, que la suite de mon récit va mettre sous vos yeux.

Lorsque la diète de Mantoue eut arrêté que les Médicis seraient rétablis dans Florence, et que le vice-roi[1] fut parti pour retourner à Modene, on craignit fortement à Florence que l’armée espagnole ne pénétrât en Toscane : néanmoins, comme on n’avait aucune certitude sur ce point, à cause du secret dont la diète avait enveloppé toutes ses résolutions ; comme, d’un autre côté, beaucoup de personnes ne pouvaient se persuader que le pape laissât les Espagnols venir mettre le désordre dans les États de la république, et que, d’ailleurs, les lettres de Rome annonçaient qu’il ne régnait pas un parfait accord entre les Espagnols et Sa Sainteté, chacun resta dans le doute, et l’on ne prit aucune mesure, jusqu’à ce que la certitude de tout ce qui s’était passé nous arrivât par la voie de Bologne. L’ennemi n’étant déjà plus qu’à une journée de nos frontières, toute la ville, à la nouvelle de cette attaque soudaine et inattendue, fut saisie d’épouvante. On délibéra sur ce qu’il fallait faire ; et lorsqu’on eut senti qu’il était trop tard pour garder le passage des

  1. C’était don Raymond de Cudone. — Voir sur tout cet épisode de l’histoire de Florence François Guicciaidini, tome II, livre II, et M. de Sismondo, Histoire des Républiques Italiennes, tome XIV, pages 233 et suiv.