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plus des deux tiers de ses membres étaient ses ennemis, et qu’ils obtempéraient au bref par lequel le pape le mandait à Rome sous peine d’interdiction, il résolut, suivant sa propre idée, ou d’après le conseil de ses amis, de cesser de prêcher dans Santa-Liberata, et d’aller faire des prédications à San-Marco. En conséquence, le jeudi matin, jour où la seigneurie entra en exercice, il annonça dans Santa-Liberata que, pour éviter tout prétexte de trouble, et conserver l’honneur de Dieu intact, il ne voulait plus se mettre en avant ; qu’il prêcherait pour les hommes seulement à San-Marco, et que les femmes n’avaient qu’a aller à San-Lorenzo entendre Frà Domenico. Notre moine se trouva donc chez lui. Tous ceux qui ont été témoins de l’audace avec laquelle il commença ses prédications et les continua ne peuvent qu’en être grandement émerveillés : en effet, il craint beaucoup pour lui-même ; il est persuadé que la nouvelle seigneurie est disposée à lui nuire ; et résolu, en conséquence, d’entraîner dans sa propre ruine un grand nombre de citoyens, il commença son discours par des prédictions effrayantes et par des raisonnements tout-puissants sur quiconque ne les approfondit pas, avançant que ceux qui avaient embrassé son parti étaient les meilleurs citoyens, et qu’il n’avait pour adversaires que les plus vils scélérats ; il n’oublia aucune des raisons propres à affaiblir le parti qui lui est opposé, et à donner de nouvelles forces au sien. Comme j’ai été témoin de toutes ces choses, je vous en rapporterai quelques échantillons.

Il prit pour texte de son premier sermon à San-Marco les paroles suivantes, tirées de l’Exode : Quanto magis premebant eos, tanto magis multipticabantur et crescebant. Avant d’en venir au développement de son texte, il exposa les raisons pour lesquelles il avait reculé, et ajouta : Prudentia est recta ratio agibilium. Il dit là-dessus que tous les hommes ont et doivent avoir une fin, mais qu’elle est différente de celle du chrétien, dont le Christ est l’unique fin, tandis que celle des autres hommes, tant passés que futurs, diffère suivant l’esprit