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temps, mais qu’il eût mérité d’être distingué dans les temps qui l’avaient précédé. Il était d’une taille au-dessus de l’ordinaire, et bien proportionné de tous ses membres ; il avait tant de grâce dans le maintien, sa douceur et son affabilité étaient si grandes, que jamais aucun de ceux qui venaient lui parler ne se retirait mécontent de lui ; ses cheveux tiraient sur le roux, il les portait coupés au-dessus des oreilles, et quelque temps qu’il fit, par la pluie ou par la neige, il allait toujours la tête découverte. Il était tout dévoué pour ses amis, et implacable pour ses ennemis ; juste envers ses sujets, sans foi envers les gens sans foi : et il ne chercha jamais à vaincre par la force lorsqu’il put réussir par la ruse, disant que, c’était la victoire, et non la manière de vaincre, qui produisait la gloire.

Jamais homme ne se précipita avec plus d’audace dans les dangers, personne n’en sortit jamais avec plus de prudence ; et il avait coutume de dire : « Que les hommes doivent tout tenter et ne s’effrayer de rien, parce que Dieu protège ceux qui ont du courage ; ce que l’on voit en effet, puisqu’il se sert toujours du fort pour châtier le faible. »

Il ne se faisait pas moins remarquer par l’amabilité ou le sel de ses bons mots. Comme ses saillies n’épargnaient personne, il ne se fâchait point lorsqu’on l’attaquait lui-même. On cite encore une foule de ses reparties, qui prouvent et sa vivacité dans l’attaque et sa modération dans la défense. En voici quelques exemples.

Il avait fait acheter une perdrix grise un ducat ; un de ses amis lui en fit le reproche ; Castruccio lui dit : « Ne l’achèteriez-vous pas plus d’un sou ? — Sans doute, répondit son ami. — Eh bien ! un ducat est beaucoup moins pour moi. »

Un flatteur le poursuivait de ses louanges ; Castruccio pour lui témoigner tout son mépris, lui cracha à la figure. Cet homme lui dit alors : « Les pêcheurs, pour prendre un petit poisson, se laissent mouiller entièrement par les eaux de la mer ; je me laisserai bien mouiller par