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toire. Si tu sais t'en appuyer avec sagesse, elle facilitera ton alliance avec les Florentins, qui, épouvantés encore de leur défaite, doivent condescendre avec empressement à la paix. Ainsi, au lieu de chercher comme moi à irriter leur haine, dans la pensée que leur inimitié devait contribuer à ma puissance et à ma gloire, tu dois, au contraire, employer tous tes efforts à devenir leur ami, car leur amitié doit faire ton avantage et ta sécurité.

» C'est une chose bien importante ici-bas, que de se connaître soi-même, et de savoir mesurer ses forces à la grandeur de ses États. Lorsqu'on ne se sent pas de dispositions pour la guerre, on doit s'efforcer de régner par les arts de la paix. Je te conseille d'embrasser ce dernier parti, et de tâcher, pendant le reste de ta vie, de jouir du fruit de mes travaux et de mes dangers. Tu n'auras pas de peine à y réussir si tu crois que mes conseils sont fondés. Tu m'auras alors deux obligations : la première, de t'avoir laissé mes États ; la seconde, de t'avoir appris à les conserver. »

Ayant alors appelé auprès de lui les citoyens de Lucques, de Pise et de Pistoja qui étaient ses compagnons de guerre, il leur recommanda Pagolo Guinigi, leur fit jurer d'obéir à ce dernier, et mourut, laissant de lui le plus honorable souvenir à tous ceux qui avaient entendu prononcer son nom ; et à ceux qui furent ses amis, des regrets aussi vifs que jamais prince en aucun temps en ait causé par sa mort. Ses funérailles furent célébrées de la manière la plus honorable, et il fut inhumé dans l'église de Saint-François de Lucques.

Du reste, le courage et la fortune furent moins favorables à Pagolo Guinigi qu'à Castruccio : car peu de temps après il perdit Pise, ensuite Pistoja, et ce ne fut pas sans peine qu'il se maintint dans la souveraineté de Lucques, qui ne demeura dans sa famille que jusqu'au temps de Pagolo son arrière-neveu.

On peut juger, par ce que je viens de rapporter, que Castruccio fut non seulement un homme rare pour son