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Lucques, se réunissait soir et matin avec les autres citoyens au-dessous de la loge du podestat, qui donne sur la principale place de la ville, nommée San-Michele. Il aperçut plusieurs fois le jeune Castruccio se livrer, avec les autres enfants des environs, aux exercices dont j'ai déjà parlé. Outre qu'il le voyait toujours vainqueur, il crut remarquer qu'il avait sur ses compagnons une autorité presque royale, et qu'ils paraissaient tous l'aimer et le respecter. Il conçut le plus vif désir de connaître qui il était. Les renseignements qu'il obtint de ceux qui l'entouraient ne firent que redoubler l'envie qu'il avait de le posséder auprès de lui. Un jour donc l'ayant appelé, il lui demanda s'il aimerait mieux vivre dans la maison d'un gentilhomme qui lui apprendrait à monter à cheval et à manier les armes, que dans celle d'un prêtre où l'on n'entendait jamais que des offices et des messes. Messer Francesco s'aperçut de la joie du jeune homme au seul mot d'armes et de chevaux : toutefois la timidité empêcha un moment Castruccio de parler ; mais, encouragé par messer Francesco, il répondit enfin « que, si cela pouvait faire plaisir à messer Antonio, il ne demandait pas mieux que de laisser là toutes les études du prêtre, pour embrasser celles de soldat. » Messer Francesco, enchanté de cette réponse, fit tant auprès de messer Antonio, qu'au bout de quelques jours celui-ci consentit à lui céder son fils adoptif : ce qui le décida fut la connaissance intime qu'il avait du caractère de ce jeune homme, qu'il sentait bien ne pouvoir contenir plus longtemps.

Castrucciio passa donc de la maison du chanoine Castracani dans celle du condottiere Guinigi ; et l'on ne peut penser sans étonnement au peu de temps qu'il lui fallut pour acquérir toutes les qualités et toutes les manières que l'on exige dans un véritable gentilhomme. D'abord il devint un excellent cavalier et apprit à dompter avec adresse le cheval le plus fougueux. Quoique à peine sorti de l'adolescence, il se faisait distinguer entre tous ses rivaux dans les joutes et dans les tournois ; et pour la