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Vie


de
Castruccio Castracani
de Lucques


Très chers Zanobi[1] et Luigi, on ne peut voir sans étonnement que la plupart de ceux qui dans ce monde ont fait de très grandes actions, que ceux entre autres qui par leur vertu s’élèvent au-dessus de tous leurs contemporains, ont eu une origine obscure, et sont nés dans la bassesse, ou du moins ont été le jouet des caprices de la fortune. Les uns, en voyant le jour, ont été exposés aux bêtes féroces ; les autres sont nés de parents d’une si vile extraction, que, rougissant de leur origine, ils se sont dits fils de Jupiter ou de quelque autre dieu. Comme les exemples de ce fait sont généralement connus, il serait fastidieux de les rapporter, et le lecteur ne pourrait en supporter l’ennui : je les passerai donc sous silence, comme entièrement superflus. La fortune a voulu sans doute nous prouver par là que c’est elle seule, et non la prévoyance, qui fait les grands hommes. Elle commence à déployer toute sa puissance dans un temps où la sagesse ne nous sert à rien, afin que ce soit à elle seule que nous soyons redevables de tout ce que nous sommes.

Castruccio Castracani, de Lucques, fut un de ces hommes qui, relativement aux temps où il vécut et à la ville où il reçut le jour, a exécuté les plus grandes choses. Sa naissance ne fut ni plus illustre ni plus heu-


  1. Dans les œuvres de Machiavel, ce travail porte la dédicace suivante : Nicolas Machiavel à Zanobi Buondelmonti et à Luigi Alamanni, ses amis les plus chers.