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Je m’acheminai alors vers la rue de Mai ; et quoique nous fussions aux calendes de mai, je ne vis aucun indice qui me représentât le mai ; tout au contraire, j’aperçus au milieu du pont un mort dont personne n’osait approcher. Entrant alors dans l’église de la divine Trinité, je n’y trouvai qu’un seul homme recommandable par son rang. Lui ayant demandé ce qui pouvait le retenir en ville au milieu de tant de dangers ; « L’amour » de la patrie, me dit-il, que je vois presque entièrement « abandonnée par ses ingrats citoyens. » Je lui répondis que ceux qui, pour se conserver à la patrie, s’en éloignaient momentanément afin de pouvoir encore lui être utiles, se trompaient moins que ceux qui, ne pouvant lui rendre service, s’exposaient au danger de la quitter pour toujours. « S’il faut dire la vérité à celui qui la connaît, me répondit-il, ce n’est pas la patrie qui me retient, mais cette belle affligée que tu vois là-bas à genoux, et pour laquelle je suis prêt à donner mes jours. » Tant d’ardeur me parut peu convenable à la maturité de son âge, et je ne pus m’empêcher de lui dire que dans des circonstances aussi malheureuses le père ne balançait pas à abandonner son fils, et la femme son époux, « Tel est mon amour, dit-il, qu’il surpasse tous les liens du sang. Si le meilleur moyen d’éviter la peste est d’avoir de la joie, la présence seule de mon amante suffit pour la faire naître dans mon cœur, tandis que loin d’elle ma douleur est si violente, qu’elle suffirait pour me faire mourir dans l’amertume ; et comme vous m’avez trouvé seul ici, de même mon amour est unique entre tous les autres amours. Si vous êtes amoureux, et que vous vouliez vivre, restez sans cesse auprès de votre maîtresse ; si vous ne l’êtes pas, suivez mon exemple, et aimez, pour éviter la peste ; il en est encore temps. » Peu touché de ses raisons, et regardant l’amour comme une peste d’autant plus dangereuse qu’elle dure plus longtemps, je m’éloignai sans lui répondre.

J’aperçus plus loin, sur le banc alors solitaire de Spim,