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sur l’espoir des rentrées qu’il attendait du ponant et du levant. Comme il jouissait encore d’un excellent crédit, il se mit à emprunter pour faire honneur à ses affaires ; mais, ayant été obligé de recourir à un grand nombre de prêteurs, il fut bientôt connu de tous ceux qui exerçaient ce métier sur la place. Il n’y avait que fort peu de temps qu’il avait eu recours à cet expédient, lorsque tout à coup on reçut du Levant la nouvelle que l’un des frères de madame Honesta avait perdu au jeu tout l’avoir de Roderigo, et que l’autre revenant sur un vaisseau chargé de marchandises qu’il avait négligé de faire assurer, avait fait naufrage, et s’était perdu corps et biens. À peine ce bruit se fut-il répandu, que tous les créanciers de Roderigo tinrent une assemblée ; ils le soupçonnaient bien d’être ruiné ; mais ne pouvant encore s’en assurer, attendu que l’échange de ses billets n’était point arrivée, ils convinrent entre eux de l’observer adroitement, afin qu’il ne pût, aussitôt dit que fait, se sauver en cachette.

Roderigo, de son côté, ne voyant aucun remède à son mal, et sachant à quoi les lois de l’enfer le contraignaient, pensa à fuir à tout prix ; un beau matin il monta donc à cheval et sortit par la porte de Prato, voisine de sa demeure. On ne se fut pas plutôt aperçu de sa fuite, que le bruit s’en répandit parmi ses créanciers, qui s’adressèrent soudain aux magistrats, et qui non seulement mirent les huissiers aux trousses du fugitif, mais le poursuivirent eux-mêmes en tumulte.

Roderigo, quand on apprit sa fuite, était à peine à un mille de la ville ; de sorte que, se voyant dans un mauvais pas, il prit le parti, pour fuir plus secrètement, de quitter le grand chemin, et de chercher fortune à travers champs ; mais les nombreux fossés dont le pays est coupé retardaient infiniment sa marche ? Voyant alors qu’il lui était impossible d’aller à cheval, il se mit à se sauver à pied, laissant sa monture sur la route ; et, après avoir longtemps marché à travers les vignes et les roseaux qui couvrent la contrée, il arriva près de Peretola,