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irrévocable du Destin, et que par conséquent je ne puisse être soumis au jugement ni de Dieu ni des hommes, cependant, comme la plus grande preuve de sagesse que sauraient donner ceux qui peuvent tout est de se soumettre aux lois, et de s’appuyer sur le conseil d’autrui, j’ai résolu de vous consulter aujourd’hui sur la conduite que je dois tenir dans une affaire qui pourrait être honteuse pour cet empire. En effet, les âmes de tous les hommes qui arrivent dans notre royaume disent dans leurs plaintes que les femmes en sont cause ; et comme cela me paraît hors de toute croyance, je crains, si nous rendons notre jugement d’après ces plaintes, qu’on ne nous taxe de trop de cruauté, et si nous ne le rendons pas, qu’on ne nous regarde comme trop peu sévères et trop peu amateurs de la justice. Et comme de ces manières d’agir, l’une est le défaut des hommes légers, l`autre, celui des hommes injustes, et que nous voulons éviter les inconvénients qui pourraient résulter de l’une et de l’autre, n’en avant point trouvé le moyen, nous vous avons fait appeler en notre présence, afin que vous nous aidiez de vos conseils, et que cet empire qui, par le passé, a toujours subsisté sans honte, vive également sans honte à l’avenir. »

Le cas parut, à chacun des princes de l’enfer, de la plus grande importance, et digne d’un examen approfondi ; mais si tous étaient d’accord sur la nécessité de découvrir la vérité, tous différaient sur les moyens. Ceux-ci voulaient que l’on envoyât l’un d’entre eux dans le monde, sous une forme humaine, afin de savoir par lui-même ce qui en était ; ceux-là, qu’on y en envoyât plusieurs. Les uns pensaient qu’il était inutile de prendre tant de peine, et qu’il suffirait d’obliger quelques âmes à confesser la vérité a force de tourments variés ; cependant, comme la majorité penchait pour que l’on envoyât un démon, on s’arrêta enfin à ce parti ; mais personne ne se souciant de prendre volontairement sur soi une pareille entreprise, on décida de s’en rapporter au sort.