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LE LIVRE

Que cuer penſer ne le ſaroit,
Ne bouche auſſi ne le diroit.
Dont mes gens orent tel merveille,
Que chaſcuns s’en ſeigne & merveille :
Car, devant, je ne me péuſſe
Retourner, ſe gaingnier déuſſe
Tout l’avoir qui eſt en l’Empire ;
Et je commençay fort à rire,
Et tous ſeuls en mon lit m’aſſis ;[1]
Et il, comme meurs & raſſis,
Me vint preſenter tout en l’eure
Les lettres qui ſont cy deſſeure.
Et dit : « La belle vous ſalue,
« Qui eſt voſtre amie & vo drue,
« Et qui tant vous aime & deſire
« Qu’eſtre vueult & ſera vo mire,
« Pour vos maus ſaner & garir.
« Dous Sire, or penſés du garir,
« Qu’elle y vuelt moult grant paine mettre.
« Tenés & liſiés ceſte lettre. »
Je reſpondi moult feblement,
En riant & longuettement :
« Vous ſoiés li tres-bien venus !
« Je ſuis moult fort à vous tenus,
« Quant venus eſtes ſi à point :
« Car doleur ne de mal n’ay point,
« Puis que vous m’aportés nouvelle
« Et lettres de par Toute-belle. »

Les lettres pris & les ouvry,
Mais à tous pas ne deſcouvry

  1. C’eſt-à-dire, ſans avoir beſoin d’aide.