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LXXIV INTRODUCTION


L’abandon et la mort de Didon (v. 2095-2130). Grâce au Roman d’Énéas, l’histoire des amours d’Énée et de Didon était assez connue dans la société élégante du temps, pour que notre poète pût se dispenser de la raconter dans tous ses détails. Il se contente donc de la résumer en quelques vers et ne s’étend longuement que sur le suicide de la reine. Il reproduit la scène avec les détails tels qu’il a pu les trouver dans le Roman d’Énéas[1] et, plus près de lui, dans le Roman de la Rose[2], Didon se frappant avec l’épée de son amant et expirant dans les flammes d’un bûcher. Mais Machaut ajoute au récit traditionnel un trait que ne lui fournissait, ni l’épopée latine ni, autant que je sache, aucun auteur de langue française avant lui, c’est que Didon

.. ne morut pas seule,
Einsois a deus copa la gueule,
Car d’Eneas estoit enceinte (v. 2119-21)[3].


Cependant ce détail d’un goût plutôt douteux n’est pas de l’invention de notre poète. Il paraît déjà dans les Héroïdes d’Ovide, Didon, écrivant avant sa mort à Énée, qu’elle est peut-être enceinte de lui[4]. Or, les Héroïdes n’étaient pas inconnues aux poètes fran-

  1. Énéas, (éd. Salverda De Grave, 1890), v. 2023 ss.
  2. Roman de la Rose (éd. F. Michel, 1864), II, v. 141 35 ss.
  3. Virgile (En., IV, 327-30) et son traducteur français (Énéas, V. 1739-46) admettent plutôt le contraire ; les autres poètes français avant Machaut n’en disent rien. Par contre, peu après lui, Jehan Le Fevre, dans son Livre de Leesce (éd. Van Hamel, 1905, v. 2435-60) reproduit ce détail qu’il a sans doute directement emprunté à Machaut.
  4. Ovide, Héroïdes, VII, 133-38.