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INTRODUCTION LXVII


rent écrits sous l’impression immédiate de ces événements même qui avaient frappé de stupeur et d’effroi le monde chrétien tout entier[1]. Mettre ce tableau en tête de son poème, c’était placer sa fiction dans un cadre bien vivant et bien réel ; sur ce fond sombre et tragique, la gracieuse aventure allait se détacher en couleurs d’autant plus vives. Guillaume, en cela, s’est rencontré avec l’un des plus grands poètes de son temps, avec Boccace, dont le Décaméron, comme on sait, débute également par la peinture de la peste à Florence. Si la description de notre Champenois n’est pas comparable pour l’éloquente énergie au célèbre préambule des cent nouvelles italiennes, comme l’a prétendu un autre Champenois, P. Paris[2], l’idée au moins, conçue par chacun des deux contemporains, indépendamment l’un de l’autre, est assurément d’un vrai poète.

Cette introduction historique reste sans aucune relation avec ce qui fait le véritable sujet du poème, le débat amoureux. Il existe même entre ces deux parties du poème une certaine contradiction. C’est au commencement de l’hiver de l’année 1349, plus exactement le 9 novembre, que notre poète, retenu dans sa chambre par le froid et les brouillards de l’automne, se laisse aller à ses lugubres méditations sur les misères dont Dieu semble poursuivre l’humanité. Nous avons là sans

  1. Les traces si nombreuses que ces événements ont laissées dans la littérature de l’époque en font foi. En France seule, on peut citer un poème latin du médecin Simon de Couvin, des vers latins et français de Gillon le Muisit, une chanson française des M Flagellants », une allusion à la peste noire au début du poème anonyme, Le Songe Vert, sans parler des traités scientifiques et des récits des chroniqueurs.
  2. Notice sur le poème du Voir Dit, p. xxviii.