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Évariste lui tendit la main, et sortit à pas de loup, tandis qu’elle revenait prendre sa place auprès du malade. Ni ses yeux ni sa main n’avaient traduit la moindre émotion, et ils s’étaient séparés comme des gens indifférents l’un à l’autre. L’amour de vieille date s’était éteint ; le cœur avait vieilli avec le temps, et le mari de la pauvre femme allait mourir. Pourtant, se disait Évariste, comment se peut-il que, même après dix-huit ans, Marianna, en face d’un homme qui a pris une part si active dans sa vie, n’éprouve ni une secousse ni le moindre choc, et ne manifeste pas même un peu de contrainte ? Quel mystère ! Oui, c’était pour lui un mystère. N’avait-il pas senti, quant à lui, au moment des adieux, un serrement de cœur, quelque chose qui l’avait pris à la gorge, et l’avait empêché de bien exprimer ses idées et de prononcer nettement les formules banales d’espérance et de condoléance. Et cependant, elle n’avait point paru le moindrement émue. Et Évariste, en se rappelant le portrait du salon, conclut que l’art est supérieur à la réalité ; la toile avait gardé le corps et l’âme… Et il éprouvait au fond du cœur un peu d’âcre dépit.