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Le cadre, jamais redoré, s’écaillait par places, et contrastait avec la figure souriante et fraîche. Le temps n’avait pas altéré la beauté de l’image. Marianna était là, vêtue à la mode de 1865, avec ses jolis yeux ronds et amoureux. C’était l’unique souffle vivant de la salle ; mais à lui seul il redonnait à l’ambiance décrépite une fugitive jeunesse. L’émotion d’Évariste fut profonde. Il y avait une chaise en face du portrait. Il s’y assit, et contempla la jeune femme dans le lointain passé. Les yeux peints se fixaient aussi sur les yeux vivants, peut-être étonnés de la rencontre et du changement observé, attendu que les yeux vivants n’avaient point la chaleur et la grâce de la peinture. Mais la différence dura peu. La vie antérieure de l’homme lui rendit sa verdeur, et les regards se pénétrèrent, dans l’attirance des anciens péchés.

Ensuite, lentement, Marianna descendit de sa toile et de son cadre, et vint s’asseoir en face d’Évariste. Elle s’inclina, tendit ses bras sur ses genoux, et ouvrit les mains. Évariste lui donna les siennes, et elles se serrèrent cordialement. Ni l’un ni l’autre ne demanda quoi que ce soit qui eût trait au passé, attendu qu’il n’y