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Malheureusement, entre la main et l’épi, il y a le mur dont parle le poète, et Rangel n’était pas homme à escalader des murailles. En imagination, il était capable de tout, d’enlever des femmes et de détruire des forteresses ; plus d’une fois, il rêva qu’il était ministre, et se délecta aux courbettes d’autrui et à ses propres décrets. Il en arriva même à se proclamer empereur, un 2 décembre, au retour de la parade qui avait eu lieu sur la place du palais. Il imagina à cet effet une révolution où l’on répandit peu de sang… très peu, et une dictature bienfaisante, au cours de laquelle il satisfit quelques petits griefs de greffier. Dans la vie réelle, ses prouesses s’évanouissaient. Il était bonachon et discret.

À quarante ans, il revint de ses ambitions ; nais son caractère resta le même, et, malgré la vocation conjugale, il ne trouva point avec qui se marier. Plus d’une l’eût agréé avec plaisir ; il laissait échapper les occasions à force de circonspection. Un jour il remarqua Jeannette, qui atteignait ses dix-neuf ans, et possédait une paire d’yeux jolis et paisibles, vierge de toute conversation masculine. Rangel la con-