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état de légitime défense… une lutte malheureuse… une fatalité. Je m’affermis dans cette idée. Et je mettais les injures dans la balance ; je portais à mon actif les coups et les sottises reçus… Ce n’était pas la faute du colonel, je le savais ; c’était sa maladie qui le rendait acariâtre, et même méchant… mais je lui pardonnais tout, tout… Le pis, c’était la fatalité de cette nuit… Je considérais encore que le colonel n’aurait pu durer longtemps ; il tenait à un fil ; lui-même le sentait et le disait : il aurait vécu combien de temps encore ? deux semaines, ou une, moins peut-être. Ce n’était pas une vie ; c’était un simulacre de vie, si l’on peut donner même ce nom au martyre continuel du pauvre homme. Qui sait ! l’instant de la lutte et la mort survenue subitement ne constituaient peut-être qu’une simple coïncidence ; cela pouvait être, c’était même probable, ce devait être enfin. Je m’accrochai aussi à cette pensée.

Près du village, mon cœur se serra ; je voulus reculer ; mais je dominai mon émotion et je poursuivis ma marche. On me reçut avec des félicitations. Le vicaire me fit part des dispositions testamentaires, des donations pieuses, et il