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sente. Je puis dire que ce fut à cet instant seulement que je pensai au châtiment. Je me vis avec un crime et une condamnation certaine sur les bras. Alors, la terreur compliqua le remords. Mes cheveux se hérissèrent. Au bout de quelques minutes, j’aperçus trois ou quatre individus qui épiaient sur le terre-plein, avec un air d’embuscade. Je reculai : les ombres s’évanouirent ; c’était une hallucination.

Avant le point du jour, je pansai la contusion de ma face. Puis j’osai pénétrer dans la chambre. Je reculai deux fois ; mais il fallait entrer, et j’entrai. Mes jambes flageolaient sous moi. Mon cœur battait ; j’eus l’idée de fuir ; mais c’était confesser mon crime, et il convenait au contraire d’en faire disparaître les vestiges. J’atteignis le lit ; je vis le cadavre, les yeux ouverts, la bouche ouverte, comme pour laisser passer l’éternelle parole des siècles : « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? » Je vis sur le cou la marque de mes ongles. Je boutonnai très haut la chemise, et je rejetai le drap sur le menton. Ensuite j’appelai un esclave, Je lui dis que le colonel était mort subitement pendant la nuit. J’envoyai un exprès au vicaire et au médecin.