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ronne. Le serpent, fou de jalousie[1], sentait déjà le venin à fleur de langue, mais il se rappela qu’il était aux ordres du Malin, et ce fut d’une voix mielleuse qu’il s’adressa à Ève. Celle-ci tressaillit.

— Qui m’appelle ?

— Moi. Je suis en train de goûter de ce fruit.

— Malheureux, tu es sur l’arbre de la science du bien et du mal.

— Justement. Je connais maintenant l’origine des choses, et l’énigme de la vie. Va, mange, et ton pouvoir sera grand sur la terre.

— Jamais, perfide.

— Folle ! pourquoi refuser la domination des âges. Écoute, fais ce que je te dis, et tu seras légion, tu fonderas des cités, tu t’appelleras Cléopâtre, Didon, Sémiramis ; tu porteras des héros dans tes entrailles, tu seras Cornélie ; tu recevras l’inspiration céleste, et seras Débora ;

  1. Serpent (cobra, serpe) est féminin en portugais. La traduction masculine dénature donc la pensée de l’auteur. Il en est de même quand, dans le « Paradis perdu » de Milton, on traduit les mots Mort et Péché qui y sont allégorisés, et qui sont, le premier masculin, le second féminin en anglais, ce qui rend l’adaptation impossible en français.