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matinée de mai 1876, vers les six heures, Pestana sentit au bout des doigts un fourmillement connu. Il se leva sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Maria, qui avait toussé toute la nuit, et dormait profondément à cette heure. Il alla dans la salle des portraits, ouvrit le piano, et, le plus doucement qu’il put, fabriqua une polka. Il la fit publier sous un pseudonyme. Les deux mois suivants, il en composa et en publia deux autres, Maria n’en sut rien. Elle se mourait en toussant, si bien qu’elle expira une nuit, dans les bras de son mari affolé et désespéré.

C’était une nuit de Noël. La douleur de Pestana fut encore aggravée par l’écho d’un bal du voisinage où l’on joua diverses polkas de lui.

Le bal, c’était déjà cruel. Ses compositions y donnaient un air d’ironie et de perversité. Il entendait la cadence des pas, devinait les mouvements, lubriques peut-être, auxquels conviaient quelques-unes de ces œuvres. Tout cela devant le cadavre livide, un tas d’os étendus sur le lit. Les heures de la nuit s’écoulèrent ainsi, lentes ou rapides, humides de larmes et