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égaré, je la suppliai, en pleurant, de ne point m’abandonner… Marcella me regarda pendant quelques instants quand j’eus fini de parler, puis elle m’écarta doucement, avec un geste d’ennui.

— Laisse-moi tranquille, me dit-elle.

Elle se leva, secoua ses vêtements encore tout mouillés, et se dirigea vers sa chambre.

— Non ! m’écriai-je, tu n’entreras pas… je te le défends !… J’allais porter la main sur elle. Trop tard ; elle était entrée et s’était enfermée à double tour.

Je sortis désespéré. Pendant deux mortelles heures, j’errai au hasard dans les quartiers excentriques et déserts, où j’étais certain de ne rencontrer aucune personne de connaissance. Je mâchonnais mon désespoir avec une avidité morbide. J’évoquais les heures, les jours, les instants de délire, et tantôt je me plaisais à les croire éternels, et à supposer qu’ils survivraient à mon cauchemar passager, tantôt, me mentant à moi-même, je les rejetais loin de moi comme un fardeau inutile. Alors j’aurais voulu m’embarquer tout de suite, couper ma vie en deux morceaux et je me délectais à l’idée que Marcella, avertie de mon départ, serait pénétrée de