Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce disant, il tira de sa poche mes divers billets qu’il avait rachetés, et me les mit sous le nez.

— Vois-tu, freluquet ! Est-ce ainsi qu’on doit respecter l’honneur des siens ? Crois-tu que moi et ceux qui m’ont précédé nous avons gagné notre fortune dans les tavernes ou à courir les rues ? Libertin ! cette fois tu prendras le droit chemin, ou je te déshérite.

Sa fureur était courte et pondérée. Je l’écoutai en silence, et je ne fis point, comme en d’autres circonstances précédentes, d’objections à l’ordre de départ. Je ruminais d’emmener Marcella avec moi. J’allai la trouver, je lui en fis la proposition. Marcella m’écouta, les yeux en l’air, sans répondre. Comme j’insistais, elle me déclara qu’elle ne pouvait aller en Europe.

— Et pourquoi pas ?

— Je ne puis, me dit-elle d’un air dolent, je ne puis aller respirer l’air de ces rivages, qui me rappellent la mémoire de mon pauvre père, victime de Napoléon…

— Lequel des deux : le jardinier ou l’avocat ?

Marcella fronça le sourcil. Elle chantonna une séguédille, se plaignit de la chaleur, et demanda