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et le peu qu’il savait lui-même. Sainte férule, maudite par les générations plus modernes, que n’ai-je pu demeurer éternellement sous ton joug, avec mon âme imberbe, mes ignorances, ma petite épée de 1814, supérieure à celle de Napoléon. Car enfin, qu’exigeais-tu, ô mon vieux maître de rudiment ? quelques leçons apprises par cœur, et un peu de sagesse à l’école. Rien de plus que ce que la vie exige de nous, avec cette différence que si tu m’effrayais, tu ne m’irritais point. Je te revois en ce moment, tel que tu entrais dans la classe, avec tes pantoufles de cuir blanc, ta casaque, ton mouchoir à la main, ta tête chauve et ta barbe rasée. Je te revois t’asseoir, souffler, grogner, humer une prise initiale, avant de nous faire réciter la leçon. Cette vie obscure, tu la menas vingt-trois ans, silencieux et ponctuel, enterré dans ta maisonnette de la rue do Piolho, sans attrister le monde de ta médiocrité, jusqu’au jour où tu fis le grand plongeon dans les ténèbres. Personne ne te pleura, sauf peut-être un vieux serviteur noir : personne d’autre, pas même moi qui te dois de connaître les éléments de la grammaire.

Il s’appelait Ludgero, mon vieux professeur.