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on voit bien que vous n’avez pas comme moi entendu Bocage, à Lisbonne, sur la fin du siècle dernier. Celui-là, oui !… quelle facilité et quels vers. Combien de fois, pendant des heures, au café Nicola, nous avons lutté à qui improviserait le plus brillamment, au milieu des bravos et des applaudissements. Quel talent, ce Bocage !… La duchesse de Cadaval me le disait encore, il y a quelques jours…

Et ces trois derniers mots, prononcés avec emphase, produisirent dans toute l’assistance un frémissement d’admiration et de surprise. Eh quoi ! cet homme si familier, si simple, non seulement luttait avec les poètes, mais encore vivait dans l’intimité des duchesses ! Un Bocage et une Cadaval ! Au contact d’un tel personnage, les femmes se sentaient magnifiées ; les hommes le considéraient avec respect : les uns avec envie, d’autres avec incrédulité. Pendant ce temps, il continuait à accumuler épithètes sur épithètes, adverbes sur adverbes, épuisant tous les mots qui riment avec tyran et usurpateur. On en était au dessert ; personne ne pensait plus à manger. Dans l’intervalle des impromptus, courait un murmure allègre, une causerie d’estomacs satis-