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hommes de lettres, un grand nombre de fonctionnaires des administrations, les uns accompagnés de leurs femmes et de leurs filles, les autres seuls, mais tous parfaitement unanimes dans leur désir d’étouffer la mémoire de Bonaparte sous la farce d’un dindon. Ce n’était pas un dîner, mais un Te Deum. Ce fut d’ailleurs à peu près ce que déclara un des littérateurs de l’assistance, le docteur Villaça, improvisateur insigne, qui ajouta aux mets du service un plat préparé par les muses. Je me souviens, comme si c’était d’hier, du moment où il se leva, dans sa lévite de soie où tombait la queue de sa perruque. Une émeraude ornait son doigt. Il demanda à mon oncle l’abbé le refrain de l’impromptu, fixa ses regards sur la chevelure d’une dame, toussa, leva la main droite fermée, d’où surgissait le doigt indicateur levé vers le toit, et dans cette position étudiée, il développa le texte donné. Il fit non pas un impromptu, mais trois ; ensuite il jura de ne s’arrêter plus. Il demandait un thème, un autre, improvisant sans hésiter, à tel point qu’une des dames présentes ne put cacher sa grande admiration.

— Madame, répondit modestement Villaça,