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véritable aberration, sans aucune valeur aux yeux du philosophe.

— Mais, répliquai-je, s’il n’y a aucune raison pour que celui qui a reçu un bienfait en conserve le souvenir, il y en a bien moins encore pour que ce bienfait subsiste dans le souvenir du bienfaiteur.

— Il est inutile d’expliquer ce qui est évident de sa nature, me répondit Quincas Borba. Mais je dirai plus : La persistance du bienfait dans le souvenir de celui qui l’exerce s’explique par la nature même de l’acte et de ses effets. D’abord, il y a le sentiment d’une bonne action, et par déduction la conscience que nous sommes capables de bonnes actions. Il y a ensuite le sentiment d’une supériorité en relation à une autre créature, supériorité dans l’état et dans les moyens. Et c’est là une des choses les plus agréables à l’humaine nature, si l’on en croit les opinions les mieux autorisées. Érasme, qui a écrit un certain nombre de bonnes choses dans son éloge de la folie, a appelé l’attention sur la complaisance que mettent les baudets à se gratter mutuellement. Je suis loin de dédaigner cette observation d’Érasme. Mais j’ajou-