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le cordial de la sagesse. Il me dit que je ne pouvais échapper au combat. Puisque l’on me fermait la tribune, je devais fonder un journal. Il employa même une expression vulgaire, démontrant ainsi que le langage philosophique peut, une fois ou l’autre, user des métaphores populaires.

— Fonde un journal, me dit-il, et renverse-moi toute cette petite paroisse.

— Magnifique idée ! Je vais fonder un journal ; je vais les réduire en miettes, je vais…

— Lutter. Peu importe le résultat. L’essentiel est de lutter. La vie, c’est la lutte. La vie sans la lutte, c’est une mer morte au centre de l’organisme universel.

Peu après, nous tombâmes sur deux chiens qui se battaient. C’est un événement sans valeur aux regards d’un homme vulgaire. Quincas Borba me les fit observer. Il me désigna un os, motif de la guerre, et mon attention fut attirée sur cette circonstance : il n’y avait pas de chair sur l’os. L’os était nu. Les chiens grognaient, se mordaient, et leurs yeux étincelaient de fureur. Quincas Borba mit sa canne sous son bras et semblait en extase.