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toi, cet air indifférent et sépulcral. Et pourquoi Pandore ?

— Parce que je porte sur moi les biens et les maux, et le pire de tous, l’espérance, consolation des hommes. Tu trembles ?

— Oui, ton regard me fascine.

— Sans doute ; car je ne suis pas seulement la vie, mais aussi la mort ; et d’ici peu tu vas me rendre ce que je n’ai fait que te prêter. Grand voluptueux, la volupté du néant t’attend.

Quand cette parole retentit comme un coup de tonnerre dans cette immense vallée, je crus que c’était le dernier son qui parviendrait à mes oreilles. Je sentis comme la décomposition subite de moi-même. Je lui lançai un regard suppliant et demandai un sursis de quelques années.

— Vie éphémère, s’écria la vision, pourquoi souhaiter encore quelque prolongement ? pour dévorer encore, et être enfin dévorée à ton tour. N’es-tu point lasse du spectacle de la lutte ? Tu connais à fond tout ce que je t’offre de moins ignoble et de moins triste : le lever du soleil, la mélancolie des soirs, le sommeil, enfin, qui est le plus grand présent de mes mains. Que te faut-il encore, sublime idiote ?