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moi. Je ne sais d’où te vient ce scrupule de personne riche. Ma chère, on a la vie qu’on peut, et l’on ne se nourrit pas de l’air du temps. Voyez-vous ça ! un brave garçon comme l’épicier Polycarpe, le pauvre… Il te faut quelque marquis, n’est-ce pas ?

Dona Placida me jura qu’elle ne visait pas si haut. Question de caractère : elle voulait être mariée. Elle savait fort bien que sa mère n’avait pas fait tant de façons, et elle connaissait plusieurs femmes qui vivaient avec un seul homme d’une façon irréprochable ; mais elle voulait être mariée. Et ce qu’elle exigeait pour elle, elle l’exigeait aussi pour sa fille. Elle travaillait sans répit, se brûlait les doigts aux casseroles, les yeux à la lampe, pour vivre sans faiblir. Elle maigrit ; elle tomba malade ; elle perdit sa mère qui fut enterrée par la générosité publique, et elle continua de travailler. Sa fille atteignit l’âge de quatorze ans ; elle était de constitution faible, et passait son temps à se laisser faire la cour par les fainéants du voisinage. Dona Placida l’entourait de sa surveillance, et l’emmenait avec elle quand elle allait porter son ouvrage dans les magasins, dont le person-