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veur !… Il n’avait point d’autre philosophie ; moi non plus. L’Université m’en avait bien inculqué quelques notions, mais je n’avais retenu que les formules, le vocabulaire, le squelette. Je traitais la philosophie comme le latin. J’avais dans la poche trois vers de Virgile, deux d’Horace, une douzaine de locutions morales et politiques pour les faux frais de la conversation. Il en était de même pour l’histoire de la jurisprudence. De tout, je sus prendre la phraséologie, l’ornementation et l’écorce.

Sans doute, le lecteur s’étonnera de la franchise avec laquelle j’expose et je mets ma médiocrité en évidence. Mais la franchise est la première qualité d’un défunt. Pendant la vie, l’opinion publique, le contraste des intérêts, la lutte des ambitions obligent à cacher les vilains dessous, à dissimuler les déchirures et les raccommodages, à ne point prendre le monde pour confident des révélations de la conscience ; et le plus grand avantage de cette obligation c’est qu’il fait éviter l’horrible vice de l’hypocrisie, attendu qu’à force de leurrer les autres, on finit par se leurrer soi-même. Après la mort, quelle différence, quelle liberté, quel soulagement !