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ma famille. Mon père m’embrassa en pleurant : « Ta mère est condamnée », me dit-il. Ce n’était plus le rhumatisme qui la minait, mais un cancer à l’estomac. La malheureuse souffrait d’une façon cruelle, car le cancer est indifférent aux vertus de l’individu. Quand il peut ronger, il ronge, c’est son métier. Ma sœur Sabine, déjà mariée avec Cotrin, tombait de fatigue. Elle dormait à peine trois heures par nuit, la pauvre enfant. L’oncle Jean lui-même paraissait triste et abattu. Dona Eusebia et d’autres femmes assistaient aussi la malade, et se montraient non moins tristes et non moins dévouées !

— Mon fils !…

La douleur cessa pour un instant de tenailler sa victime. Un sourire illumina sa face, sur laquelle la mort étendait déjà son aile. Ce n’était déjà plus un visage. La beauté avait fui comme une aurore brillante. Il ne restait que les os, qui, eux, ne maigrissent pas. J’avais peine à la reconnaître, après huit ou neuf ans de séparation. Agenouillé au pied de son lit, ses mains entre les miennes, je demeurais immobile, sans oser prononcer une parole qui eût été un sanglot. Or, nous essayions de lui cacher son