Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
LE DOCUMENT

vous connaissez mon esprit méthodique. J’ai moins d’imagination que vous, et la vie m’a enseigné l’art d’éviter les déceptions. Il est de toute évidence que les explications que vous venez de me donner sont véritablement troublantes. Toute cette histoire est curieuse. Je regrette presque d’avoir découvert ce petit bouquin. Vous êtes dans un état d’exaltation extraordinaire. Calmez-vous, mon vieux. Venez vous promener avec moi. La jolie figure de Marie-Anne dissipera les fantômes des mauvais garçons serviteurs du pavillon noir. Venez.

Il tendit à Krühl sa casquette et une canne. Krühl, muet et les yeux fixes, suivit docilement son compagnon.

On rencontra Bébé-Salé qui, les mains dans les poches de sa vareuse bleue, se dirigeait vers le cabaret.

― Tiens, te voilà, la flotte, dit Krühl.

― Toujours debout, monsieur Krühl.

En entrant dans la petite auberge, Krühl se précipita pour embrasser Marie-Anne qui le repoussa à coups de torchon.

― Laissez-moi, laissez-moi, grand savage !

― Tiens, donne-nous des cartes, commanda Eliasar.

― Non, je ne joue pas ce soir, déclara Krühl.

Bébé-Salé et Eliasar se regardèrent dans un mouvement commun de stupéfaction sincère.