Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

rantaine de millions. Celui d’Edward Low ne vaut pas moins. Kid navigua beaucoup moins longtemps que Low.

― Dites donc, fit Eliasar, ça valait la peine de naviguer comme gentilhomme de fortune.

― Tenez, mon vieux, certains jours, ou plutôt certaines nuits, la mer appelle et gémit comme une femme amoureuse. J’ai compris la légende des sirènes, mais pour moi, c’est Mary Read qui appelle John Rackam, et c’est aussi la rumeur qui vient lentement des Antilles, quand l’île de la Tortue bruissait comme une auberge louche, quand les hommes juraient le coutelas à la main, et quand les filles se pavanaient, une rose entre les dents.

― Faut tout de même pas s’en faire, coupa nettement Samuel Eliasar. Il ne faut pas s’emballer. Évidemment un trésor est toujours bon à prendre. Êtes-vous sûr de votre compétence en la matière ?

Il ne pouvait pas toucher plus juste pour piquer l’amour-propre de Krühl.

― Si je suis sûr de moi ? Bouh ! bouh ! peuh ! Vous voulez plaisanter, mon vieux. Voyons, dites-moi, hein, hein ? Ai-je la tête d’un farceur, d’un dandin, d’un béjaune ? Je ne connais personne, per-son-ne, vous m’entendez, Eliasar, qui puisse me damer le pion sur cette question. Je vous le dis, Eliasar.

― Ne vous fâchez pas, mon vieux Krühl,