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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

par exemple, un homme qui aime l’absinthe n’hésitera jamais à payer ce qu’on lui demandera pour satisfaire son goût.

Partant de ce principe, soit au cabaret, soit en mer dans la barque au fils Palourde, Eliasar avait examiné le grand Krühl avec une patience d’entomologiste.

Eliasar n’était pas sans culture, et il se félicita, en l’occurrence, d’avoir végété dans un lycée jusqu’à l’âge de dix-huit ans, car la proie à chasser ne demandait qu’à se laisser intoxiquer par un poison littéraire bien choisi.

Tout d’abord Samuel, demanda à Krühl de bien vouloir lui prêter quelques livres. La lecture de ces ouvrages et les conversations qui en suivirent ne tardèrent pas à mettre le jeune bandit sur la bonne piste.

Un matin il se réveilla avec un visage d’ange. « Je crois que je tiens « Bouh-Bouh-Peuh ». C’est ainsi qu’il avait surnommé Krühl, dans ses pensées les plus intimes.

La veille au soir, avec Pointe, qui avait réussi à lui emprunter un louis, transformé tout aussitôt en tournées générales, Eliasar avait écouté attentivement Krühl qui, en veine de confidences devant un auditeur nouveau, à son avis lettré et sensible, parlait abondamment de son sujet favori,

― Tenez, mon vieux. C’est la vraie vie. Il y a des moments où je me demande si je ne suis