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LA LANDE ET MARIE DU FAOUËT

― Min-bon-mos-sieu, chanta la misérable. Et sans transition, elle éclata de rire : « you-you… hou ! » chantait-elle, en esquissant un geste dont la signification précise glaça Eliasar.

D’un bond, Samuel emjamba une touffe d’ajoncs et tenant son veston avec la main droite, il courut droit devant lui, talonné par la peur, qui multipliait ses effets en raison même de la vitesse de la fuite.

Eliasar traversa des ajoncs, enjamba des chemins creux, franchit des barrières sournoises, se tordit les pieds sur des roches mal équilibrées. Toute la nature semblait complice de l’horrible déchet vivant, qu’il sentait étrangement ingambe sur ses talons.

Les coudes au corps, il courait avec la peur derrière lui, devant lui, à ses côtés. Pour rythmer sa course, il répétait inlassablement : « Don-nais un sou, don-nais-un sou ! »

Sa raison, chose curieuse, gardait une apparence de sang-froid dans le vertige qui l’entraînait. C’est ainsi qu’Eliasar envisageait avec précision la possibilité de rencontrer quelqu’un venant de Belon. Alors il s’arrêterait de courir et donnerait au passant une explication quelconque sur son attitude. « J’ai vu un lièvre traverser la lande, je lui ai jeté mon bâton dans les pattes », devait-il dire. Et il courait toujours au rythme lancinant des « don-nais-un-sou ». Maintenant il traversait un maigre boqueteau,