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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

la lancinante stupidité : « Min-bon-Mos-sieu donnais un-sou… hou ! » Il exécuta avec un parfait souci d’imitation le « hou » final, puis satisfait, sans trop savoir pourquoi, il se retourna tout à coup.

La mendiante, les yeux clos, la bouche molle et la face tremblotante, était encore devant lui, tendant la main.

― Min-bon-Mos-sieu, don-nais un sou… hou !

Samuel Eliasar recula, esquissa une grimace.

― Voulez-vous foutre le camp tout de suite, bon sang de bon sang. Je vais vous faire boucler par les cognes, vieille toupie !

Sous le flot de la colère, et un peu déconcerté par cette angoisse que l’on éprouve en sortant d’un cauchemar, il s’exprimait avec une vulgarité si naturelle qu’elle révélait instantanément le plan social de l’individu.

La vieille recula à son tour de quelques pas, se mit à chercher çà et là dans la lande. Elle poussait les cailloux de son sabot et fouillait des touffes d’ajoncs avec ses doigts.

Samuel Eliasar l’observa sans dire un mot. Il reprit sa route dans la direction de Belon, sa promenade favorite.

Deux ou trois fois, il se retourna. La vieille n’avait pas changé de place. Agenouillée sur le sol, elle grattait la terre comme un chien devant une taupinière.

― Vieille folle ! bougonna Samuel Eliasar.