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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

Joaquin Heresa et les deux matelots n’avaient pas bougé de place.

Quelques arbres les cachèrent à la vue d’Eliasar qui, alors, soupira bruyamment.

Brusquement, il se trouva seul, effroyablement seul devant le dénouement de la monstrueuse aventure dont il avait créé, un à un, les détails les plus infimes.

Il sentait nettement qu’il ne pouvait plus reculer. À ce moment, pourtant, sa soif de richesses ne le tourmentait pas. Il se savait capable de tuer, mais sans goût en quelque sorte ; sa tâche l’écœurait, et les perles rares contenues dans la ceinture de Krühl, le trésor, celui-là véritable, qu’il avait poursuivi avec tant de clairvoyance et d’opiniâtreté, ne lui laissaient plus aucun désir.

Il toussa plusieurs fois, tâta le manche de son couteau et la lame froide dont il sentit le fil.

Krühl, méditatif, avançait vite, préoccupé à son habitude. Il chantonnait, car la récente découverte d’Eliasar lui redonnait de l’espoir et revivifiait sa confiance défaillante.

― Vous savez, dit-il, sans se retourner, j’ai un sale béguin pour la Cubaine. Je lui reconnaîtrai quelque chose sur ma part.

― Ah ! répondit Eliasar dont la voix s’étrangla.

Krühl ne parla plus. Et son compagnon, comprenant que la seconde décisive venait de sonner dans sa poitrine, s’arrêta un peu pour respirer.