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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

gifla et la fit pirouetter devant lui. « Marche, marche ! » lui criait-il en la suivant.

Eliasar tâta son couteau dans la poche de son pantalon. Il suivit Krühl qui invectivait toujours contre la fille, en gesticulant, la figure pâle et les mains tremblantes.

Quand ils revinrent au campement, cependant que Krühl poussait brutalement Chita dans la tente, en lui jurant qu’il la reconduirait lui-même à bord avant une heure, Heresa interrogea d’un simple mouvement des sourcils Eliasar qui rongeait ses ongles. « Eh bien quoi ? » dit-il.

― J’ai eu les flubes, avoua Eliasar.

On entendait sous la tente Chita gémir et pleurer comme une fillette. Krühl sortit. Sans regarder personne, il s’assit, tenant sa tête entre ses mains. Une crise de détresse le terrassa ; les larmes coulaient sur ses joues en avalanche.

― C’est le premier homme que j’ai tué, bégayait-il, j’ai tué un homme, un homme. »

Heresa écœuré rentra sous bois. Eliasar tirait sur sa pipe sans dire un mot. Bébé-Salé se tassait derrière les briques du fourneau qu’il avait construit à l’abri du vent.

― Un homme ! un homme !… gémissait Krühl.

On laissa Krühl se calmer seul. À la tombée de la nuit, Manolo le reconduisit avec Chita et le capitaine, à bord du bâtiment.

Eliasar resta dans l’île, allongé devant la porte de la tente, maintenant vide. Il entendait les