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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

vieux peintre, s’accommodait on ne peut mieux de cette différence de situation.

Désiré se vengeait d’ailleurs des écarts d’imagination de Krühl en le débinant adroitement chez la petite Marie-Anne, qui tenait un cabaret sur la route de Moëlan.

― Il est complètement piqué, confiait-il à Bébé-Salé, son compagnon de bouteille. Ses bouquins le rendent complètement marteau. Hier encore il bourrait le crâne à la bonne de la mère Plœdac, la petite Adrienne, avec des histoires d’équipage révolté. La mère Plœdac en avait la tête retournée. Il est fatigant. Pendant l’été, ça va encore, je le repasse aux Parisiens et à leurs petites amies. Il arbore le grand pavois. Mais l’hiver, c’est moi qui le prends pour toute la journée et une partie de la nuit. Quand il ne me voit pas il ne sait quoi f… Hier encore il m’a poursuivi jusqu’à Belon. C’est Boutron qui me l’a dit. Tiens, le voilà.

Au tournant du raidillon qui accédait au cabaret de la petite Marie-Anne, la belle Bretonne, Joseph Krühl, dans son attitude familière, la pipe à la bouche et les mains derrière le dos, contemplait la mer.

― Hé, Krühl ! Un petit tafia ?

― Tiens, c’est toi, Pointe, je te cherchais, mon cher.

Il entra dans le cabaret, serra la main à Bébé-Salé, pinça le menton à Marie-Anne.