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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

reau chinois, mon cher ami, n’est pas un salopiaud de saboteur comme les bourreaux européens. C’est un personnage gonflé de dignité et saturé de sciences, tel un professeur d’université. Aussi mon ravisseur cultivait les belles lettres, à ses heures de loisir. Les jeunes gens qui désirent embrasser la carrière de bourreau doivent travailler et se faire la main. Il leur faut des sujets d’études, de simples sujets à disséquer, des patients qui leur permettent d’étudier en détail les différents supplices en usage dans un pays où les nerfs des habitants ne sont pas précisément à fleur de peau. Un bourreau chinois n’est pas, comme vous pourriez l’imaginer, un butor vêtu de pourpre et portant un pourpoint de montreur d’ours en foire. C’est un personnage pondéré, d’une extrême douceur, vêtu de noir, parant son nez de lunettes cerclées d’écaille selon la coutume des gens doctes qui tiennent à des détails de costume permettant de ne pas les confondre avec des greluchons coureurs de coquines.

― Dépêchez-vous, dit Eliasar qui trépignait. Vous nous faites perdre un temps précieux. Nous ne sommes pas ici pour nous amuser. Je crois que vous pouvez vous féliciter de nous avoir rencontrés et si nous nous permettons d’insister, c’est qu’il est urgent pour nous de connaître l’identité de ce personnage que vous vous acharnez à rendre énigmatique.