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LE HOLLANDAIS

devant la grande cheminée avec ses livres, son chat Rackam, Mme Plœdac et la jeune servante Adrienne.

Les ouvrages d’Œxmelin, du capitaine Johnson, de Whitehead et de quelques autres auteurs opéraient alors en toute sécurité dans le cerveau de Joseph Krühl, comme les romans de chevalerie avaient opéré sur l’ingénieux gentilhomme de la Manche.

Le vieux peintre Désiré Pointe, confident de ses divagations, l’aidait à cultiver ses extravagances.

Pour Krühl il rééditait la silhouette si souvent méditée d’un gentilhomme de fortune selon les plus pures traditions de l’espèce.

Désiré Pointe était grand, mince, d’œil vif et de teint coloré. Vêtu d’un complet de chasse en toile goudronnée, guêtré comme un peintre de la génération de Barbizon, à soixante-dix ans il arpentait la Côte, la pipe à la bouche et le pen-bas à la main.

― Tu es épatant, mon cher Pointe, disait Krühl. Sais-tu que tu serais tout à fait remarquable, pendu à la grande vergue d’une goélette, baigné dans la lumière aveuglante d’une belle matinée tropicale.

― Tu as des idées remarquablement idiotes, répondait Pointe que cette supposition vexait.

Pointe cependant recherchait le commerce de Joseph Krühl, tout simplement parce que le Hollandais était riche et que la pauvreté du