Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
LES MAÎTRES DE L’ILE

D’un bond, il sortit de l’eau, et bien loin de fuir, se précipita au-devant de Krühl, en donnant tous les signes de la joie la plus extravagante.

Il bégayait des mots sans suite, interrogeait Krühl, Eliasar et le capitaine, en anglais, en russe, en espagnol, en français.

― Vous êtes Français, Français, Français, répétait-il.

― J’ai toujours vécu en France, répondit Krühl.

L’homme s’agenouilla, tenant étroitement embrassés les mollets de Joseph Krühl, un peu gêné de voir un de ses semblables dans cette attitude servile.

― Je parle français, disait l’homme, je parle français. Voilà deux ans que je suis dans cette île infernale. J’ai guetté des voiles sur la mer, j’ai allumé des feux la nuit. Et personne ne venait. Personne. Voilà deux ans que je vis ici, mangeant des sardines, du thon et du corned beef, et aussi des compotes de fruits en boîtes ; deux ans que je vis avec le fumeur d’opium et le nègre. Quand je vous ai aperçus, j’ai cru tout d’abord me trouver en présence du Chinois et de ses hommes. Alors vous ne pouvez pas suivre mon idée, j’allais me tuer, car, vous le comprenez, ou plutôt non, vous ne savez pas, je ne voulais pas être emmené vivant, vivant, m’entendez-vous, corne d’enfer ! vivant par le