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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

et commença à tourner, d’abord doucement en suivant le bord de l’abîme. Sa vitesse s’accrut, comme en se rapprochant du fond, la circonférence de l’entonnoir d’acier se rétrécissait.

Eliasar, dans un rapide éblouissement, car le navire sombrait dans les élégantes spirales du vertige, revit sur l’écran de sa mémoire la silhouette rigide de Marie du Faouët. Aussitôt la peur infâme l’abandonna pour cette fois. Il se sentit mollir et se laissa emporter vers le terme inimaginable de la chute du navire.

Il entendit la vieille mendiante bourdonner à ses oreilles quelque chose comme : « Min-bon-mos-sieu-donnez-un-sou. »

Le soleil éclata telle une baie lumineuse trop mûre. Ses rayons jaillirent en flèches de métal incandescent. La mer uniformément bleue se chauffait paisiblement et l’Ange-du-Nord, sorti sain et sauf de la tempête, dérivait doucement au gré d’un courant mystérieux.

Le navire et son équipage se retrouvaient petit à petit. Les matelots hébétés se frottaient les yeux et traînaient leurs membres endoloris sur le pont. La réaction se produisait. Des plaisanteries furent échangées. « C’est pas encore cette fois qu’ils auront ma peau, dit Bébé-Salé, ah ! dame non. »