Page:Mac Orlan - Le Chant de l’équipage.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
180
LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

La fille haussait les épaules. Ses yeux flambaient de colère.

Alors les matelots riaient en se tapant sur les cuisses.

La présence de cette étonnante créature, dont la voix rauque n’exprimait aucun son qui pût servir à préciser une idée, donnait un caractère étrange au brick-goélette.

Debout, à l’avant, la fine silhouette de Chita depuis ses mauvais petits souliers à hauts talons, ses bas blancs, son châle et la fleur rouge piquée dans sa lourde chevelure de jais, rehaussait d’une inquiétante pointe de perversité l’Ange-du-Nord, dont le nom semblait alors un blasphème énorme.

― Cette môme-là, dit le nègre, nous portera la poisse, vous verrez ce que je vous dis.

Le lendemain de l’arrivée de Chita à bord, Powler s’empara d’une mouette. Il porta le bel oiseau de porcelaine blanche à Joseph Krühl, qui l’offrit à sa Cubaine bien-aimée :

― Tiens, petite fille.

Chita prit l’oiseau, lui coupa les pattes avec des ciseaux et lui rendit la liberté. La mouette s’envola vers la terre.

Krühl, un peu gêné, regardait la fille, accroupie à ses pieds. Les ciseaux ensanglantés traînaient à côté d’elle sur le sol.

― Les gosses font la même chose chez nous, dit Bébé-Salé, quand ils prennent une mouette, dame oui.