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LE SOLEIL DE CARACAS

vieille mère Plœdac, Marie-Anne au joli cou, Pointe, le bon camarade.

Les matelots chantèrent, et Krühl, au moment même où l’Ange-du-Nord, chargé de toile jusqu’aux cacatois de son mât de misaine, doublait la jetée, sentit sa poitrine se gonfler d’une émotion qui dépassait sa volonté.

Caracas ! Dans un de ces petits cubes blancs, qui n’étaient que des maisons fraîches enfouies parmi la verdure protectrice d’un jardin aux graviers brûlants, le vieux Flint avait vécu ses dernières heures, devant son compagnon Mac Graw qui chassait les mouches d’émeraude avec un linge trempé dans de la nicotine. Sous les gazons voluptueux semés de bananiers aux tiges aqueuses, permanait le mystère séculaire des crimes et des atrocités impunis.

Pour Krühl, ce paysage éclatant et sournois reculait les limites conventionnelles de l’horrible.

Le contraste stupéfiant d’une chaleur qui écrasait les rares passants dans les rues désertes, avec le mystère sensuel des beaux jardins remplis d’ombre bleue, bleu sombre entre les arbres, excitait l’imagination de Krühl. Il désirait cette fraîcheur qui se laissait deviner sous la forme troublante d’une créole nue, coiffée de soie rouge, ou vêtue d’une robe blanche enguirlandée de roses, gonflée par une crinoline indiscrète.

Krühl imaginait la belle fille, transportant