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LE CHANT DE L’ÉQUIPAGE

dressaient vers le ciel leurs bras où pendaient, au bout d’un fil délicat, des bennes minuscules.

― Caracas ! cria Krühl.

Et les hommes d’équipage lancèrent leurs casquettes en l’air.

Fernand courut à la recherche de l’accordéon de Bébé-Salé et rythma l’allégresse générale sur les touches de l’instrument.

Krühl regarda les matelots de l’Ange-du-Nord.

Une émotion puissante lui fit monter les larmes aux yeux, ses lèvres tremblèrent. Pour une fois, sous le soleil évocateur de la vieille flibuste, son rêve se réalisait dans le plus rare de tous les tableaux. Son équipage de fortune lui apparaissait tel qu’il avait imaginé les équipages damnés poursuivant, de mer en mer, le but fuyant de leurs luxures médiocres et de leur vénalité cruelle.

Doré sur l’écran du grand foc, Fernand le nègre, vêtu d’un maillot rouge et d’un pantalon de toile bleue lessivée, laissait errer ses grandes mains roses et noires sur l’accordéon.

Les Suédois, dont la barbe blonde égratignait d’or les visages cuits par le soleil, se mêlaient familièrement aux Espagnols. Powler le mulâtre précisait le caractère équivoque de ces matelots étrangers les uns aux autres et dont la personnalité véritable ne s’était jamais révélée à Krühl.

L’accordéon gémissait des airs d’une gaieté navrante et Krühl revoyait la côte bretonne, la